Les INSTANTANÉS
- Par asso-delire
- Le 24/05/2020
- Dans Atelier déconfiné
Pour ce deuxième atelier, les participant.e.s étaient invité.e.s à décrire brièvement un ou plusieurs instant(s) de vie, observé(s) ou vécu(s).
Cusset, 04/05/2020, 17h19
(version audio)
Pour participer à l'effort collectif, j'ai imposé le confinement à mes tableaux.
Prochaine étape...le masque...quoique...
Joëlle Caumes
©Joëlle Caumes
L’interphone (version audio)
Dijon. Samedi 11 avril 2020. Il est 17 h. On sonne à l’interphone.
« Bonjour ! Service d’inspection du confinement ! »
Mon réflexe, dans ce genre de situation, est de me focaliser sur la voix. Je ne reconnais pas la personne qui s’exprime avec autorité. Je passe en mode automatique quand je suis confronté à un colporteur ou à un plaisantin.
« Passez voir à côté, vous aurez peut-être plus de chance. »
J’entends l’homme qui insiste.
« Est-ce que vous respectez le confinement ? »
Sans prévenir, le fou rire m’attrape et ne me lâche plus quand, à l’autre bout, mon ami Jean-Louis décline son identité. Il passe dans notre rue pendant son heure autorisée de promenade quotidienne. Je suis prêt à les faire entrer, lui et sa femme Claudine, les toucher, les prendre dans les bras, leur offrir l’apéritif, les garder à dîner. J’imagine les fous rires, les projets de week-end, de pique-nique, les jeux, les sorties en randonnée dans les combes ou dans le Jura, les visites de lieux insolites, les discussions à bâton rompu sur la société et ses dérives…
Depuis quand n’ai-je plus déclenché l’ouvre porte ?
Jacques Corneloup, le 4 mai 2020.
23 mars 2020, 11h20. Aux fenêtres d’un immeuble au bord du XVIIe, Paris. (version audio)
Je lève les yeux de mon écran de travail, s’alignent alors au 4e étage de l’immeuble d’en face trois taches blanches. Dos au soleil, sans se concerter, trois voisins viennent de s’installer sur le mini-rebord de leur balcon. Livre à la main, verre à leurs pieds, qu’il semble bon ne pas se presser de finir un Xème rapport qui ne sera jamais lu…
Marie L'Haridon
Le soir du 3 avril 2020, rue des Capucins à Lyon. (version audio)
Rituel : Au moment de l'applaudissement, le seul nourri à 20 heures, bien souvent s'ouvrent, une à une, les fenêtres de nos voisins pour la célébration du corps médical. Ainsi nous avons découvert la présence d'un habitant dans l'immeuble d'en face. Découvert, le mot semble trop fort, aperçu, entrevu, entre ses deux battants de fenêtres : un octogénaire gêné, encombré par des bibliothèques pleines et des tas de livres. Ce personnage de BD mince, aux yeux malicieux derrière des lunettes carrées, surmontés d'un grand front se trouve dans un effort constant d'équilibre pour lutter contre les vantaux, sous la pression d'ouvrages et de manuscrits, tout en applaudissant. Son combat paraît acharné contre la menuiserie de sa fenêtre alliée à ses lectures... Comme tous les soirs, se précipite son majestueux chat blanc sur la margelle de l'ouverture. Cela augure d'une fermeture proche. Notre voisin d'en face tente alors de rentrer le gros animal en continuant l'exercice périlleux d'apparaître sur la rue. Il pousse sur la crémone, donne des signes d'impatience en direction de sa bête qui prend l'air, toute la place et le temps de la fierté. L'octogénaire mène avec agacement et fantaisie la joute finale de confinement pour s'évanouir jusqu'à demain, derrière un mur de livres...
Jean-Loup Jamin
Il y a des moments dans la vie d’une personne où une fenêtre est importante !
De fenêtres, il y en a de différents types et formes : à deux vantaux, à oscillo-battant, à guillotine, à Was ist das. Il y a des lucarnes, des hublots, des œils-de-bœuf, sur rue, sur cour, sur le ciel : des Velux !
La mienne n’a rien de spécial, juste elle me permet d’observer ce qui se passe dans la rue, cinq étages plus bas…
30 mars 2020, 14 heures, rue Pascal 13e arrondissement de Paris
Paris n’est pas une ville à chats mais, depuis quelques semaines, il y en a partout. Ils traversent la rue, se vautrent en son milieu, se grattent le cou avec leur patte arrière : une puce probablement. Comme leurs cousins romains, à Paris aussi ils sont devenus les maîtres incontestés de la rue.
8 avril 2020, 9 heures 30, même endroit
Aujourd’hui pas de chats, je vois un homme. Il est vieux je crois, en tout cas ses cheveux sont blancs, il est très maigre, sa peau fripée. Il court. En mocassins ! Je pense qu’à Paris on a interprété « On peut courir le matin avant 10h et le soir après 19h » comme une injonction « Vous devez courir le matin avant 10h et le soir après 19h »
15 avril 2020, 18 heures, rue Pascal devant le n°47
Il y a toujours Mohamed, Momo, fidèle à son poste de contrôle. C’est l’ange gardien de la rue même si personne ne sait ce qu’il surveille ni pourquoi et pourquoi il se charge de ramasser les papiers gras au sol. Il aime beaucoup son bout de rue Momo. Quelqu’un lui a donné un masque chirurgical. Il fait très « pro » maintenant.
5 mai 2020, 18 heures, rue Pascal toujours
Depuis ma fenêtre mes oreilles aussi observent. Il y a un silence « de montagne ». C’est un silence qui a une qualité particulière, un silence dense, habité, un silence qui vit. Ce matin - bien entendu nous devons commencer à penser à nous dé-confiner, sortir, reprendre une vie normale - ce matin disais-je la mairie de Paris a eu l’excellente idée de lâcher les agents préposés aux espaces verts avec leurs souffleurs à feuilles...
J’ai refermé ma fenêtre.
(version audio)
Michela Slataper
Après-midi du 8 mai 2020, Vichy (version audio)
Possibilité de sortir une heure pour de l'activité physique...
Pour moi c'est : MARCHER.
Je sors à 15h30 : il fait chaud, je flâne, mais je me fatigue vite. Aussi, je m'assois sur un banc en bordure d'un parc de la ville magnifiquement arboré.
Je ferme les yeux et me laisse bercer par le doux chant des oiseaux. L'air est léger. Les fleurs des tilleuls exhalent une senteur florale inoubliable et puissante ; les jeunes feuilles vert tendre ressemblent à de petits cœurs.
Quelle merveille !
C'est un agréable moment… malgré le confinement.
Alexandra Maridet
Dimanche 3 mai en fin d’après-midi dans les rues tranquilles de La Garenne-Colombes. (version audio)
Partout au bas des immeubles et devant les maisons, des amoncellements invraisemblables : matelas, ferraille, énormes sacs d’herbe coupée, caisses emplies de jouets – une famille à vélo s’arrête, tiens, qu’est-ce qu’il y a là-dedans, ça t’intéresse ce truc ? Manipulant sans peur, sans gants ni rien, et se servant. Ailleurs, des cartons bourrés de tonnes de papiers accumulés provenant du fond des âges. L’envahissement des trottoirs par des objets sédimentés devenus inidentifiables avant, demain, le passage des encombrants.
Rue Raspail, du quatrième étage d’un immeuble 1930 à la lisière entre Courbevoie et La Garenne-Colombes. (version audio)
Le gamin d’en bas, monté sur ressorts, dehors du matin au soir presque sans discontinuer pendant huit semaines – quel drôle de silence les quelques jours où il s’est remis à faire gris. Emplissant l’air du printemps de sa joie. À vingt heures, courant en tous sens dans son pyjama squelette, ou son pyjama rouge, applaudissant la tête renversée vers le ciel. Merci, petit.
Valérie Sausse
Un après-midi d’avril 2020, par une de ces jolies journées ensoleillées qui ressemblent tant à l’été. Place Gambetta, Paris 20e. (version audio)
Une file d’attente s’est formée devant le kiosque à journaux. Certaines personnes sont masquées, d’autres, dont je fais partie, non.
Près de nous, à environ un mètre cinquante, un homme, la soixantaine, lui aussi sans masque, tousse. Il se râcle la gorge, puis tousse à nouveau bruyamment en direction de ses chaussures. On s’attend à un lancer de crachat imminent ; en prévision, on s’écarte subrepticement. J’esquisse malgré moi un sourire, cherchant alentour un regard de connivence mais les visages sont fermés, toutes les paires d’yeux convergent vers la guérite du marchand. Mon tour arrive enfin, je m’avance journal en main pour régler, juste au moment où l’homme, qui n’a pas bougé d’un poil, éructe de plus belle. Je le désigne d’un signe de tête au vendeur en rigolant. Il se marre aussi :
- Ah oui ! Je le connais ! Il n’est pas malade, il le fait exprès ! Ça l’amuse, de voir les gens avoir peur !
Je me disais bien…
Paris, le 9 mai 2020. Une pharmacie de la rue des Pyrénées, Paris 20e. (version audio)
« En vente, masques en tissu ».
Je m’étais promis de les fabriquer moi-même ces masques obligatoires et payants, mais y consacrer du temps me démoralise. Je me décide à entrer. Les masques coûtent 5 euros. Ils sont blancs, en tissu si fin qu’on les dirait en papier. Au moins, s’ils ne protègent pas, auront-ils l’avantage d’être légers à porter.
- Ils sont fabriqués en Italie, avance fièrement la pharmacienne, pas en Chine.
C’est censé être un argument convaincant, ça ? Bon, j’aime l’Italie, j’achète.
Devant moi, un type vient d’en prendre quatre ! Comme je ressors, je le croise qui entre à nouveau :
- Ils sont lavables combien de fois ?
- 10 fois.
Il a bien fait d’en acheter quatre d’un seul coup !
- Le mieux, lui dis-je goguenarde alors qu’il va pour s’éloigner, c’est de ne pas les laver du tout !
Ça le fait rigoler, le rire soulage. Au moins, nous n’aurons pas tout à fait perdu cette journée !
Véronique Bouilly
Dimanche 3 mai 2020, milieu d’après-midi, depuis mon balcon, Fontenay sous Bois. (version audio)
Chatte-tigrée-avec-collier suit posément son habituel parcours, longeant la palissade au fond du jardin. Elle dépasse le lilas rose, puis le blanc, et disparaît un instant de ma vue. Elle émerge enfin et se glisse entre les barreaux du portillon blanc de l’entrée.
Brusquement, elle s’immobilise : étendue de tout son long sur la pierre chauffée par le soleil, se prélasse Chatte-tigrée-sans-collier.
Surprise, évaluation. Sauts de crabe, feulements.
Chatte-tigrée-avec-collier détale, Chatte-tigrée-sans-collier s’étire.
Samedi 9 mai 2020, 23h40, assise devant mon bureau, Fontenay sous Bois. (version audio)
Le ciel est en colère, déchiré d’éclairs aveuglants. Le vent tord la cime des arbres et la maison tremble sous la violence du tonnerre. À ma gauche, de l’autre côté du mur, Sonia pleure, comme à chaque communication avec sa Maman. À ma droite, par la fenêtre ouverte, me parvient le doux chant de Karim, noyé dans la tempête.
Valérie (Lillie) Barrier
Sortie matinale (version audio)
8 heures du matin, soleil de printemps, oiseaux qui gazouillent, hummmmmm ça sent bon la promenade. Petit Chien frétille, la truffe au vent, le clic-clic des petites pattes sur le bitume résonne dans ce matin calme. Moi-même d’humeur vagabonde je laisse Petit Chien orienter la direction de la promenade, ne suis pas pressée … on tourne à gauche, on descend la rue et là Petit Chien en arrêt. Stop ! tout net, la patte dressée, me regarde « eh dis-donc, si on tournait ? ». Tourner cela veut dire aller vers la Promenade plantée, fermée depuis trois semaines. Nous tournons donc et constatons bien entendu la grille fermée… Petit Chien restera assis cinq minutes devant la grille, il attendra en me regardant d’un air si désolé. « Allez Petit Chien, rentrons à la maison, il réouvrira ton chemin de promenade, promis ! ».
Isabelle Sirieix
Le 5 mai 2020 à 18 heures, rue du Vieux Coq à Reims (version audio)
« Et 1, 2, 3, 4… et 5, 6, 7, 8… »
Privé de son studio c’est à distance en visio que Gabriel, toutes fenêtres ouvertes, dispense ses cours de danse. Trois fois par semaine, le son de la musique et de sa voix enthousiaste résonne joyeusement dans la rue si calme habituellement.
Il saute, tournoie, virevolte. Il enchaîne les pas chassés, les arabesques, les entrechats. Il est heureux… libre dans sa tête !
Annick Mouchel
Sarah âgée de 6 ans, petite fille de mon amie Michèle s'écria :
"Mamy fais attention de ne pas attraper le CORA VIRUS. Il est dangereux pour les vieilles mémés!
Ne laisse pas sortir aussi ton chaton Panda car le virus va s'attaquer à ses yeux!"
La Vérité sort de la bouche des enfants, dit-on.
(version audio)
Rolande Janiszewski
Chennevières-sur-Marne le 13 mai 2020, il est 19h30, je suis chez moi et d’un seul coup j’entends de forts éclats de rire : de mon balcon j’aperçois un groupe de six jeunes hommes d’une vingtaine d’années autour d’une voiture garée juste en dessous de mes fenêtres. Ils échangeaient, rigolaient tout en respectant bien les distances physiques mais le paradoxe c’est qu’ils fumaient chacun leur tour sur la même chicha qui était disposée sur le capot de la voiture.
(version audio)
Carine Robieu
Toulouse, le Mirail, le 21 avril 2020 à 22h22 mn (version audio)
Toute la colocation est à la cuisine, à l’affût des bruits étranges qu’on entend. On se rue tous, les yeux curieux de ce qui va se produire dans le quartier. Mais le spectacle est au-delà de nos espérances. Alors que je m’avance vers la vitre j’aperçois une vague orange au loin, une immense flamme qui palpite sur la place, puis un énième bruit d’explosion. Le visage collé à la fenêtre, on comprend tous : des voitures brûlent. Il est 20h passées, ça aurait été plus jovial si elles l’avaient été durant les applaudissements. J’enfile une paire de chaussures et je cours jusqu’à la place. Je compte avec colère : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 ; 9 voitures en feu, 9 torches immenses se dressent devant moi. C’est beau, mais c’est des milliers d’euros de chômeurs qui partent en fumée. Je vois sur ma gauche un autre parking où 3 fondent également, et sûrement d’autres encore autour de nous. Lumière fuyante, gens ébahis, en rogne, fascinés ; on entend les crépitements de métal, les portières qui tombent, on voit ces carcasses noires se déformer sous le fluide brûlant. Paysage d’apocalypse.
Toulouse, le Mirail, le 28 avril 2020 (version audio)
Le CROUS, les aides, il faut sauver les étudiants de la famine, il aura fallu une pandémie pour comprendre que tous ont besoin d’aide. On est entre 8 et 9, chacun avec nos problèmes d’argent. On reçoit quelques fois des cartons de nourriture contenant du fromage, des salades de quinoa, des légumes, des desserts qui ont l’air pré-mâchés. Parmi ces mets, des conserves de flageolets verts. Épique. On en a reçu 4 ou 6, j’en ai ramassé avec faim 4 dans le hall, et comme les autres étudiants veulent à tout prix les abandonner, un ami voisin nous en donne 3. Jour après jour, semaine après semaine, tous les ingrédients de la cuisine disparaissent, toutes les étagères se vident. Sauf une, celles des flageolets verts… 12 conserves de 450g qui remplissent le petit carré de bois. On meurt de faim, on fait cuire des pâtes qu’on agrémente avec de la sauce barbecue, voire avec rien. On survit, mais les flageolets verts, eux, prospèrent.
Toulouse, le Mirail, le 4 mai 2020 (version audio)
Ce soir-là on sort pour… sortir. On reçoit illégalement deux amis à la maison et on décide de tous se promener, trouver à manger si possible. Les rues sont vides, la place est tachée de carbone et d’ossements de voitures, on la traverse en fumant une cigarette, un briquet qu’on se partage. On a faim comme d’habitude mais les rires nous font oublier la réalité. On tourne un peu en rond. Moi et Bobby (l’un des deux invités) finissons par tomber sur deux caissons où se nichent des pâtisseries orientales et quelques fruits. Alléluia ! Un homme passe en voiture et nous voit en train de les transporter. Il s’arrête, baisse sa vitre et nous lance : « Vous cherchez de la nourriture ? Il y a les invendus là ! ». Il était bientôt 23h, une ville ambiance The Walking Dead, mais cet homme venait de changer nos vies. Deux autres hommes apparaissent devant un des restaurants fermés de la place. Ils nous parlent, on fait des blagues, ils nous sortent un pain matlouh, puis deux, trois, quatre. On les prend dans nos bras comme des cadeaux de Noël. Un troisième homme sort, nous tend des plats chauds dans du plastique : viandes mijotées dans des épices, des légumes, des soupes, puis un dernier pain au fromage. Après une avalanche de remerciements, on bénit intérieurement le ramadan, on s’assoit dans le parc, près du lac ; on met de la musique, et le festin commence. Le meilleur repas de tout le confinement !
Deus ex machina.
Juliette Charpentier-Bouilly
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